lundi 19 septembre 2011

Les Wikipédias sans Comité d'arbitrage : le cas italien.

Les élections pour le renouvellement du Comité d’arbitrage commencent demain (en fait ce soir-même à minuit). Au cours de ces deux dernières semaines, elles ont inspiré de nombreux débats théoriques sur le futur de cette institution. Certains souhaitent une réforme en profondeur, d’autres de simples aménagements empiriques à la réforme de 2010. Quelques uns vont jusqu’à prôner sa disparition. J’ai déjà donné mon opinion là-dessus sur ma page de candidature. Je n’ai rien à rajouter.

Je souhaiterais toutefois livrer ma petite analyse sur une interrogation qui a commencé à émerger sur le bistro d’hier et paraît beaucoup peser dans le débat : quid des Wikipédias sans Comité d’arbitrage ? Celui de la Wikipedia hispanophone (ou Wikipédia.es) a disparu en 2009. La Wikipedia italianophone n’en a apparemment jamais eu. Ces deux wikipédias parviennent-elles à gérer efficacement leurs conflits ? Ont-elles mis en place des organismes de substitution ? Si oui de quelle sorte ? Toute sorte de questions

Pour des raisons d’affinités et de connaissances personnelles, je me suis uniquement penché sur le cas de Wikipédia.it. Si j’ai le temps je ferais peut-être un second billet sur Wikipedia.es…

Mentionnons d’office la principale divergence entre Wikipedia.it et Wikipedia.fr : le mandat d’amministratore n’est pas éternel. Depuis janvier 2010, nos collègues transalpins ont adopté le principe de Riconferma annuale : chaque année les administrateurs en place doivent automatiquement renouveler leur statut. Quelque part, cette procédure rapproche les amministratori des arbitres : le mandat est limité dans le temps, le mandaté doit rendre des compte et dresser un bilan effectif de ses actions. Il semblerait que les italianophones ont adopté une position exactement inverse à l'actuelle Prise de décision sur le cumul des mandats d'arbitre et d'administrateur : au lieu d'être clairement distinguées, les deux fonctions tendent à fusionner en une seule.


Ceci noté, examinons un peu la page consacrée à la résolution de conflit (ou Risoluzione dei conflitti). Elle formalise un processus en trois étapes. Tout d’abord, l’utilisateur est invité à contacter le compte avec lequel il est en conflit sur sa page de discussion (jusqu’ici rien de très normal). Ensuite, si la discussion dégénère, on peut faire appel à un médiateur, soit à un utilisateur neutre, de préférence administrateur (un fonctionnement assez semblable au Salon de médiation à ceci près que l’on insiste préférentiellement sur le cumul administrateur-médiateur). Enfin, si la médiation échoue, il est possible de lancer une richiesta di pareri (ou demande d’avis). En dépit de la similarité lexicale, les richieste ne correspondent pas aux Requêtes aux administrateurs. Tous les contributeurs réguliers sont en effet invités à donner leur avis — à charge pour un administrateur d’appliquer la décision consensuelle.

Or, comme sur wikipédia.fr, les décisions ne sont pas toujours consensuelles. Face à cela, les italiens ont mis au point des jokers : les ultimi soluzioni. Concrètement, les conflits théoriques peuvent donner lieu à un sondaggi — un équivalent de nos PDDs. Les conflits de personnes peuvent être soumis à la page Utenti problematici (utilisateurs problématiques) ou, si un administrateur est en cause, à la page Ammistratori problematici.

Ces solutions de la dernière chance fonctionnent-elles ? Pas très bien en dehors des utenti problematici. Par contraste avec nos PDDs, les sondaggi sont finalement assez peu utilisés (un seul déposé depuis le début de l’année). Dans une même optique, les contestations du statut d’administrateurs sont devenues rarissimes depuis la fin de l’année dernière. Comme le souligne une IP sur une page de discussion : « Lorsqu’on est élu administrateur, on ne reçoit pas une médaille mais un gilet pare-balle (ou, plus exactement, anti-blocage) ».


Il faut reconnaître que le principe d’une reconfirmation du statut tend à décourager les contestations : mieux vaut attendre quelques mois plutôt que de se risquer à entreprendre une procédure assez lourde qui conclut quasi-systématiquement sur la confirmation du statut.


Notons également, à titre historique, l’existence d’une Votazioni sulla messa al bando (littéralement un Vote sur la mise au ban). Cette procédure impliquait de faire voter le destin d’un contributeur problématique. Elle demeure inusité depuis 2009.

En fin de compte, une fois qu’on laisse de côté les procédures désuettes, la Risoluzione dei confitti paraît singulièrement squelettique. Aucune instance autonome ne permet de gérer les conflits entre administrateurs ou entre administrateurs et péons. Le consensus est constamment réclamé, sans que rien ne permette de combler son absence. Comment ce système parvient-il à fonctionner, alors que les RAs s’avèrent généralement incapables de résoudre un conflit durable ?

Ce fonctionnement miraculeux ne tient pas tant à une hypothétique bonne volonté des contributeurs italiens qu’à la structure de la vie communautaire sur Wikpedia.it. Il y a deux fois moins d’amministratore que d’administrateurs (globalement 100 vs. 200). Le rapport d'utilisateurs actifs entre dans les mêmes proportions (2900 vs. 5100). Pour ce que j’ai pu en voir, les discussions théoriques sur l’organisation de l’encyclopédie restent assez limités. Les indications temporelles de l’agrégateur Pianeta Wikimedia sont évocatrices : au cours des deux derniers mois, neuf billets seulement ont été relayés. Le bistro local ou Bar possède une activité très restreinte, uniquement cantonné à de sujets de fond (on est assez loin de notre no man’s land biscornu pour habitués…)

Dans l’ensemble, les interfaces communautaires sont singulièrement réduites. En dehors d’IRC, il n’y a pas vraiment de lieu pour échanger ou méta-communiquer sur ce qui se passe. Cela réduit fortement les probabilités d’un conflit de personne.

Tout ça pour dire quoi ? Que Wikipedia.it diffère structurellement de Wikipedia.fr. Les besoins préludant à l’organisation ne sont pas du tout les mêmes, que l’on en juge quantitativement ou qualitativement. Là où fr est pénalisé par de profondes divisions internes, it souffre d’un certain manque de dynamisme (le nombre de contributeurs actifs stagne complètement depuis 2008). Cette caractérisation n’a peut-être rien de surprenant. Dans la mesure où Wikipédia.fr fait face à un important afflux de contributeurs actifs depuis un an (+300), elle se livre assez naturellement à une importante introspection sur sa manière de faire.

4 commentaires:

exportation a dit…

Ce serait bien de proposer un test, on leur envoie un contributeur problématique et on voit ce qu'ils en font, ils peuvent le garder un bon moment, on peut même leur envoyer les copains de celui ci pour pas qu'il s'ennuie et pour exporter les attaques en bandes. Là ça nous fera des supervacances

Alexander Doria a dit…

Ce qui est vrai que dans la mesure où il n'y a pas de RAs, pratiquement pas de blogs, et où le bistro est un machin sérieux ça devient compliqué d'ergoter à longueur de temps sur la wikipolitique. Pas sûr que l'exportation fonctionne. En même temps, ça mettrait un peu d'animation sur it, qui à force de se pacifier en devient légèrement ennuyeux…

Moyg a dit…

J'ai l'impression que la plupart des procédures de it: existent sur fr:. Même s'ils sont peu (ou plus) utilisés, on a les appels à commentaires et des PDD pour bannir des contributeurs.

Alexander Doria a dit…

@Moyg Effectivement, les appels à commentaire sont probablement ce qui se rapproche le plus des Richieste de pareri. Par contre, sur it, les PDDs contre les contributeurs (ou Votazioni) sont également tombées en désuétude.

Sur le long terme, j'ai l'impression que les grandes Wikipédia ont tendance à diverger sur le long terme : à partir d'un tronc commun initial, chacune élabore son modèle propre. Si j'ai le temps, j'écrirai bien une série de billets sur le sujet.